LE SUICIDE CHEZ LES FLICS

« Clic, pas aujourd’hui, clic, pas aujourd’hui, clic, pas aujourd’hui… »

PAR CLAUDE AUBIN

Ces mots ont été retrouvés dans le journal d’une policière, juste après un énorme bang dans les toilettes d’un poste de police.

Cette semaine dans le journal : deux cas de suicide de flics, dont un que je connaissais depuis quelques années, m’ont replongé dans le passé. Alors j’ai décidé de pratiquer une catharsis.

En général, le travail de policier en est un de frustrations; fait de rencontres souvent déplaisantes; allant de chicanes de ménage, en chicanes de voisins, en passant par des gens ivres, agressifs ou remplis de vomi; de conducteurs en colère d’avoir reçu un billet; de femmes et d’enfants abusés; de morts violentes, accidentelles ou naturelles; d’actes de violence sans nom; et j’en passe.

Il est composé aussi d’horaires de travail pouvant assurément ne pas satisfaire sa compagne ou son compagnon. Il est aussi fait de jours passés à la cour, de congés coupés, de Noël au travail et d’un tas d’autres petites frustrations, comme ces patrons voulant grimper les échelons et qui marchent sur des cadavres pour y arriver.

Même préparé à tout ça, le flic n’est qu’un être humain… comme tous les êtres humains autour de lui.

Claude Aubin
Claude Aubin a travaillé durant 32 ans avec le SPVM. PHOTO : Stéphane Brunet

Durant ma carrière de 32 ans, j’ai eu à faire face à plusieurs de ces drames. Des policiers à bout de ressources décidant que le voyage s’arrête aujourd’hui. Je dirai une moyenne de trois par année, je ne parle ici que des gars que j’ai connus. Tous ne se tirent pas une balle dans la tête, certains boivent à en mourir. L’un d’eux m’avait dit en plaisantant : « Ça ne fait pas couler de sang. »

Mon ami Gilles, à qui le médecin avait interdit la boisson sous peine de mort, fit ce qu’il avait à faire et sa dernière cuite fut mémorable. Il avait 46 ans. Un autre de mes amis fut retrouvé à la maison. Ne voulant pas se manquer, il le fit au fusil de chasse. D’autres ont choisi la pendaison ou les pilules. Quelle que soit la méthode, c’est la porte de sortie.

Ne me demandez pas si j’y ai déjà songé, je ne vous répondrai pas. Je ferai comme tous les vieux flics… Un petit sourire sans joie dans un regard vide d’expression.

Finalement dans cette job, il n’y a pas que les vacances, la paye, le fonds de pension. Il y a aussi les dépressions, les post-traumatismes, les nerfs qui lâchent, les années de retraite à rêver la nuit que l’on fait toujours des arrestations ou à revoir des visages de cadavres. Sans parler des larmes coulant sans pouvoir les dissimuler, que l’on s’interdisait de faire, à l’époque de l’insigne. C’est aussi ça la vie de flic.

— Claude Aubin est un sergent-détective retraité avec le Service de police de la ville de Montréal. En 32 ans de service, il a arrêté plus de 3 000 criminels. Les mafias irlandaise et Européenne de l’est ont même essayé de le descendre, en mettant un contrat sur sa tête, sans succès. Aubin a perdu sept de ses amis au suicide. Il est également un auteur célèbre, avec trois livres sur ses années comme un agent de police à son crédit.

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