COURAGE SOUS LE FEU

Un gendarme de la GRC décrit les événements tragiques du 22 octobre 2014, alors qu’un tireur fou a fait un carnage sur la colline du Parlement à Ottawa

PAR JAMIE GILCIG

Le 22 octobre 2014, Michael Zehaf-Bibeau a fauché la vie du caporal Nathan Cirillo du régiment des Argyll and Sutherland Highlanders d’Hamilton, en Ontario. Ce meurtre a suscité l’indignation à travers tout le pays parce qu’il s’est produit sur la colline du Parlement à Ottawa. Il a non seulement fait les actualités internationales, mais a lancé le Canada dans une guerre contre le terrorisme qui avait, jusqu’à ce jour, été considérée comme le problème de quelqu’un d’autre.

Le pays était encore sous le choc du décès, deux jours plus tôt, de l’adjudant Patrice Vincent, renversé et écrasé par un véhicule que conduisait Martin Couture-Rouleau, un nouveau converti à la foi musulmane, à St. Jean-sur-Richelieu au Québec.

Bien que ces deux incidents ne soient pas reliés, ils ont été considérés par la GRC comme des actes de terrorisme politiquement motivés.

L’examen national de la fusillade de Nathan Cirillo, alimenté par la couverture médiatique presqu’en temps réel, nous a non seulement rapproché de la vie du caporal Cirillo, aussi brève qu’elle l’ait été, mais de celles des hommes qui n’ont pas hésité à braver le danger en ce jour d’octobre pour veiller à ce que les pertes en vies humaines soient maintenues au minimum.

Ce matin-là, Michael Zehaf-Bibeau entre dans l’édifice du Centre sur la colline du Parlement par l’entrée principale de la Tour de la Paix. Il est armé, tel qu’il a plus tard été confirmé, d’un fusil de chasse Winchester 30-30 de modèle 94, et avance en courant dans le couloir, poursuivi par les agents de la GRC.

D’un côté se trouve la salle du Comité où sont réunis le Premier ministre Stephen Harper et son caucus Conservateur. Le chef de l’opposition Thomas Mulcair et le caucus du NPD siègent de l’autre côté.

Des barricades de fortune sont rapidement érigées avec des bancs tandis que Steven Harper trouve refuge dans une alcôve. Comme le tireur atteint la bibliothèque juste à côté du bureau de Kevin Vickers, le sergent d’armes de la Chambre des communes, l’incident atteint son paroxysme quand Zehaf-Bibeau est abattu grâce à l’agilité et au révolver de Kevin Vickers.

New York Times Ottawa Shooting
L’incident a fait les manchettes de l’actualité internationale.

Kevin Vickers, qui servait en qualité de sergent d’armes depuis 2005 jusqu’en janvier dernier après avoir été nommé Ambassadeur d’Irlande, a immédiatement été proclamé héros, et s’est vu attribuer le mérite d’avoir immobilisé Bibeau, tombé sous une rafale de balles. Mais comme on le voyait dans la vidéo du Globe & Mail montrant les braves gendarmes de la GRC et policiers du Parlement à la poursuite de Bibeau, Kevin Vickers n’a pas abattu le tireur tout seul.

« Bien que je sois touché par votre enthousiasme à mon égard, je souhaite et j’espère que vous réalisez que cet honneur revient à toute l’équipe qui s’est montrée très efficace ce jour-là » a déclaré le sergent d’armes aux journalistes peu après l’incident.

Quelques jours après la tragédie d’Ottawa, à ma résidence de Cornwall en Ontario, j’ai reçu un appel téléphonique du frère d’un des agents dans la vidéo de la fusillade au Parlement, ajoutant que son frère — un vétéran de 27 ans à la GRC — était également de Cornwall.  J’ai éventuellement joint ce dernier par téléphone.

Le gendarme, en poste à Ottawa, a accepté une entrevue pour Police & judiciaire, sous le couvert de l’anonymat.

P et J Quel a été votre premier réflexe lorsque vous avez entendu les coups de feu?

GENDARME DE LA GRC Vous savez, c’est pareil pour tout le monde. Vous faites ce que vous avez à faire. Ça sonne cliché, mais c’est ce que pense chaque policier. Vous avez peur, vous êtes terrifié, mais vous agissez quand même.

P et J Avez-vous réagi aux coups de feu ou si quelqu’un a crié, « Vite! Mettez-vous à l’abri! »

GENDARME DE LA GRC Les informations sont diffusées sur les ondes de la police et vous y réagissez, et j’étais déjà à proximité.

P et J Avez-vous déjà eu à dégainer votre arme de service au cours de votre carrière?

GENDARME DE LA GRC Oui

P et J J’ai fait une entrevue avec une dame du Colorado, Mme Jeanne Assam, qui était agente de sécurité bénévole pour son église. C’est elle qui avait abattu le tireur qui était entré dans l’église. Elle a reçu une Médaille de la bravoure des mains du président George Bush. Dans le feu de l’action, vous ne savez pas combien il y a de bandits. Vous ne savez pas ce qui va se passer. Êtes-vous entraînés pour ce genre de situation? Pouvez-vous y être réellement préparés?

GENDARME DE LA GRC Oui, nous sommes formés pour ce genre de situation. Nous ne sommes pas la seule force policière à avoir été formée dans ce sens depuis l’incident de Columbine. Des méthodes de formation ont été instaurées et il y a des procédures tactiques que vous devez suivre… Vous êtes entraîné, mais vous ne pouvez jamais être tout à fait prêt. C’est une déclaration équitable dans l’ensemble. Ce n’est pas vraiment un secret, mais nous nous entraînons pour ce genre de situation.

Nous avons la formation et nous nous entraînons, mais ce n’est jamais pareil. Dans l’armée, ils s’entraînent au combat, mais ce n’est jamais comme un réel combat.

P et J Dans quelle mesure cet incident était-il différent?

GENDARME DE LA GRC Ce l’était au centuple, il est impossible d’établir un facteur. Vous êtes beaucoup plus tendu, beaucoup plus effrayé, et évidemment beaucoup plus émotif. Notre entraînement est très réaliste, mais ne peut jamais reproduire à 100 % une situation dans laquelle vous vous trouvez. C’est très intense. C’est très surréaliste. Vous avez de difficulté à croire ce que vous êtes en train de vivre.

P et J Que faites-vous pour relaxer après le fait? Combien de temps avant que votre fréquence cardiaque revienne à la normale et que vous redeveniez vous-même?

GENDARME DE LA GRC Vous revenez assez rapidement à votre état normal mais c’est encore frais. Vous rentrez à la maison auprès de votre famille, vous vous rendez compte de ce qui est important pour vous. Et puis vous revenez au travail. Cela fait partie du travail que nous accomplissons. Les gens réagissent différemment. Personnellement, je m’en sors assez bien.

P et J Est-ce que vous discutez entre vous, dans votre unité ou avec les personnes avec lesquelles vous travaillez?

GENDARME DE LA GRC Après un incident, nous nous parlons les uns et les autres et nous nous soutenons entre nous. Si certains ont des problèmes, nous avons des mécanismes de soutien pour leur venir en aide. Nous avons des conseillers à notre disposition en cas de besoin.

P et J Pensez-vous que cet indicent vous affectera lors d’autres missions où vous aurez à réagir après avoir vécu celui-ci?

GENDARME DE LA GRC Je serai beaucoup plus conscient, beaucoup plus alerte, beaucoup plus prudent. Bien des choses qui sont prises pour acquises ne le seront plus.

P et J Pensez-vous que vous, ou les autres gendarmes qui sont intervenus, en sortirez changés?

GENDARME DE LA GRC Absolument. Notre mentalité en sera changée, mais non notre professionnalisme. Nous ferons encore preuve de gentillesse et de politesse envers les gens. Nous continuerons de nous faire prendre en photo sur la colline parlementaire. Nous serons toujours aussi respectueux, mais un peu plus méfiants.

P et J Pouvez-vous vous imaginer à la place du caporal Cirillo?

GENDARME DE LA GRC Nous le pouvons tous. Tous ceux qui exercent notre profession peuvent se voir à sa place. Nous compatissons certainement avec ce qui s’est passé.

P et J Essentiellement, vous avez un emploi où, comme dans les forces armées, n’importe quel jour peut être votre dernier?

GENDARME DE LA GRC C’est une partie du travail à laquelle chaque policier ou militaire est confronté au moment où il ou elle signe la ligne pointillée. C’est la carrière qu’il ou qu’elle choisit. Vous vivez avec au jour le jour; ce n’est évidemment pas au premier plan, sinon vous ne pourriez pas faire ce travail. Cela peut vous arriver n’importe où. Il faut faire preuve de vigilance. Les citoyens devraient aviser la police lorsqu’il se passe quelque chose d’inhabituel ou s’ils ont des soupçons. Ce n’est peut-être rien, mais ce pourrait aussi être important et faire la différence.

P et J Croyez-vous que nous soyons encore en sécurité au Canada?

GENDARME DE LA GRC Je ne sais vraiment pas comment la sécurité publique et la perception du public en seront affectées. Cela va dépendre de la population, si elle intensifie sa coopération et devient plus vigilante. Selon moi, les choses vont rentrer dans l’ordre, les gens vont se calmer. On va passer par-dessus et, dans quelques mois, nous en serons remis.

Suite à une enquête plus poussée, les Canadiens ont appris que le tireur (né Michael Joseph Hall) avait un lourd casier judiciaire, et bien que né catholique, s’était converti à l’Islam.  Il avait préparé une vidéo avant la fusillade, laquelle n’a pas été communiquée au public et fait encore l’objet d’une enquête.

Certains commentateurs et observateurs décrivent l’événement comme le 9/11 du Canada, mais ce qui a été clairement démontré était le professionnalisme de nos courageux gendarmes de la GRC et des forces de sécurité sur la colline du Parlement et au Canada.

— Jamie Gilcig est journaliste pigiste et rédacteur en chef pour The Cornwall Free News, une publication en ligne (http://cornwallfreenews.com/).

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