LA SUITE

J’ai vécu, le lendemain de l’événement, le plus grand moment de solitude de ma vie, raconte le héros de la fusillade sur la colline du Parlement

PAR ADRIAN HUMPHERYS

Le matin suivant son audacieux exploit, alors qu’il avait bondi de derrière une colonne dans la Chambre des communes pour abattre un tireur qui venait tout juste de tuer un soldat – Kevin Vickers, le sergent d’armes du Parlement, se réveille avant l’aube et ne peut retenir ses larmes.

« J’ai vécu le plus grand moment de solitude de ma vie, » déclare-t-il d’une voix hésitante.

Et tandis que les honneurs et les hommages à la force et au courage dont il a fait preuve pour assurer la protection du cœur de la démocratie canadienne affluaient, Kevin Vickers se retire à la maison familiale en bois rond de Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Après avoir appelé son curé,  et tenant dans ses bras ses petits-enfants, il prie pour Michael Zehaf-Bibeau, le tireur, qu’il a tué.

Le lundi suivant, alors qu’on lui décerne un doctorat honoris causa, il raconte aux élèves de l’université de Mount Allison à Sackville, au Nouveau-Brunswick, l’histoire poignante des suites de la terrifiante attaque sur le Parlement.

Kevin Vickers, âgé de 58 ans, établi un lien direct entre son enfance à Miramichi sous l’influence de sa mère et de son père, en passant par sa carrière à la GRC, à sa confrontation avec un tueur dans le Hall d’honneur du Parlement le 22 octobre 2014.

Il  a tout de suite su ce qu’il voulait faire de sa vie quand, jeune garçon, il était passé devant le Palais de justice et avait aperçu trois membres de la GRC marchant dans leurs uniformes de serge rouge. Il aura consacré 29 années de sa vie à la GRC.

« Une chose qui m’a réellement frappé au cours de ma carrière est que j’ai obtenu dix-sept confessions d’hommes qui avaient commis des meurtres, » explique-t-il aux diplômés et aux professeurs.

« J’ai réussi à obtenir ces aveux et à aider ces hommes à me raconter leurs histoires parce que mon père, Bill Vickers, m’avait inculqué il y a très très longtemps ‘qu’aussi répugnant que soit le crime, tu dois toujours respecter la dignité inhérente à leur personne’. »

« Cette pensée m’a toujours guidé, et ma foi en elle a de nouveau été mise à l’épreuve après la fusillade. »

Il avait accepté le poste de directeur de la sûreté à la Chambre des communes en 2005 après avoir pris sa retraite de la GRC. En chemin pour son entretien d’embauche, il avait vu un père qui jouait au Frisbee avec son fils sur la pelouse devant le Parlement.

« Je suis instantanément tombé en amour avec l’endroit et j’ai voulu le protéger. Je voulais le préserver du mal, » ajoute-t-il.

Il est devenu sergent d’armes l’année suivante et avait porté le serment, lors de son entrevue : « Si vous me confiez le rôle de sergent d’armes, vous n’aurez jamais à ériger de murailles autour des édifices du Parlement du Canada. »

En général, le public le considérait comme un incontournable cérémonial dans les traditions arcanes du Parlement, coiffé d’un chapeau archaïque et portant la masse cérémoniale dans la Chambre des communes avant chaque séance.

« Ma carrière de sergent d’armes s’est déroulée très vite puis, ce jour-là, ce jour tragique du 22 octobre, est arrivé, » dit-il, sa voix trahissant l’émotion.

Ce matin-là, Michael Zehaf-Bibeau a utilisé un fusil de chasse pour tuer le Caporal Nathan Cirillo, un soldat originaire d’Hamilton au garde-à-vous devant le Monument commémoratif de guerre du Canada, puis s’est précipité dans l’édifice du Centre, où il a tiré et blessé un garde de sécurité qui tentait de l’arrêter.

À l’intérieur, Michael Zehaf-Bibeau a échangé des coups de feu avec la sécurité et la police tandis qu’il traversait le Hall d’honneur.

« Je me trouvais d’un côté de la colonne et le tireur de l’autre. Son fusil était juste là, » dit-il, montrant une longueur de bras devant lui.

« Pour un instant, j’ai pensé que je pouvais simplement tendre la main et attraper son arme. »

Kevin Vickers
Une image figée tirée de la vidéo de la CBC dans le Hall d’honneur du Parlement montrant Kevin Vickers, sergent d’armes de la Chambre des communes, portant une arme à feu. PHOTO : CBC

Mais la journée ne s’est pas terminée ainsi.

« Il a tiré un coup de feu et à ce même moment, je me suis élancé dans les airs (et) j’ai atterri sur le sol directement sous lui. Comme l’a dit mon ami Craig Oliver de CTV, j’étais en plein cœur d’un moment historique. »

« Je me souviens vaguement des événements de cette journée. Je suis rentré chez moi ce soir-là et il m’a été difficile de m’endormir. Je me suis réveillé à 5 h 30 en pleurant. C’est le moment où je me suis senti le plus seul de toute ma vie.

« Et le matin venu, vous savez qui m’a appelé? Ma mère. »

D’un air désinvolte, il lui répond : « Je vais à merveille maman. » Le connaissant apparemment mieux que lui-même, elle lui dit de rentrer à la maison à Miramichi, parce que ses enfants pourraient avoir besoin de lui.

« Maman, ça va bien  aller, » ajoute-t-il. Elle lui fait pourtant la suggestion à maintes reprises pendant plusieurs jours,  jusqu’à ce qu’il monte enfin dans son camion et quitte Ottawa pour Miramichi.

« Ce soir-là tandis que j’étais au volant, je me demandais « Quels sont donc ces hommes – ceux dont j’ai obtenu des aveux, et celui-ci, cet individu, que j’ai rencontré dans le Hall d’honneur » — et puis j’ai pensé à mon père et me suis dit : « Respecte la dignité des gens. Je devrais prier pour eux. »

Une fois arrivé à sa maison de bois rond au petit matin, il appelle immédiatement le curé de la famille, lui demandant s’il pouvait dire une messe à son domicile ce matin-même. Le curé accepte et Kevin Vickers téléphone ensuite à sa famille pour leur demander de se joindre à lui.

Après la messe, la mère de Kevin, Monica, a dit une prière… tout d’abord pour Kathy Cirillo, la mère du soldat, puis pour Suzanne Zehaf, la mère du tireur.

« Et il m’est venu à l’esprit que la première personne que Dieu avait fait entrer dans le Royaume des cieux, après avoir été crucifié, était l’homme crucifié à côté de lui, un criminel condamné. »

« Ainsi, tenant mes petits-enfants dans mes bras, j’ai dit une prière pour Michael. »

C’était un élément important de sa propre réconciliation avec le fait qu’il avait tué un homme, et qui ramenait la philosophie qui habitait son père à son point de départ, à Miramichi.

« J’allais mieux maintenant grâce à ma mère. Elle avait tout organisé et m’avait ramené à la maison parce qu’elle savait que ce n’était pas eux – mes enfants – qui avaient besoin de moi, mais plutôt Kevin Michael – moi – qui avait besoin d’être à la maison. »

Il explique aux étudiants que chacun d’eux serait confronté à une épreuve au cours de leur vie – «  votre propre 22 octobre » — et que leurs mères seraient une formidable source de réconfort et de compréhension.

Kevin Vickers a été nommé Ambassadeur du Canada en Irlande en janvier 2015.

Il est l’une de quatre personnes à se voir décerner un doctorat honorifique en droit de l’université Mount Allison. Il était accompagné de l’auteur Lawrence Hill, de l’écrivaine canadienne France Daigle et du dramaturge Matthew Jocelyn.

— Adrian Humpherys est journaliste avec le National Post. Ce reportage a paru dans le National Post.

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