TOURNENT EN TRAGÉDIE
Quand affrontements entre policiers et malades mentaux tournent en tragédie
Les techniques de désamorçage sont cruciales mais la formation n’est qu’une partie de la solution
PAR CRAIG MCKEE
Aucun d'entre eux ne recherchait la célébrité. Aucun d’entre eux ne voulait ainsi passer à l’histoire. Robert Dziekanski, Sammy Yatim, Michael Eligon, Edmond Yu, Reyal Jardine-Douglas, Alain Magloire, Paul Boyd, Tony Du, Sylvia Klibingaitis, Otto Vass, Steve Mesic, Mario Hamel, Byron Debassige.
Ils étaient tous en détresse, victimes d’un problème de santé mentale qui les coupait de la réalité. La plupart d’entre eux étaient armés. Dans chaque cas, les policiers ont perçu une menace pour eux-mêmes ou pour le public. Et dans chaque cas, l'agent a choisi d'utiliser la force meurtrière pour éliminer cette menace.
Mais avaient-ils d’autres choix? Qu'a-t-il été fait pour éviter la tragédie? Et dans quelle mesure ces efforts ont-ils réussi?
Souvent, lorsque les policiers reçoivent un appel signalant qu’un individu se comporte de manière erratique, les membres des services de police ne savent pas vraiment à quoi s’attendre quand ils arrivent sur les lieux. L’individu peut être armé d’un couteau, d’une paire de ciseaux, d'un tuyau en métal, d’une chaîne, ou de toute autre chose que les agents peuvent considérer comme un danger potentiel.
Dans de tels cas, les policiers abordent le sujet le pistolet en main, et lui crie d’abandonner son arme et de rester là où il est. Quand l’individu n’obéit pas aux ordres, comme c’est souvent le cas, la police doit prendre une décision dans des conditions de stress. Ce qui se passe ensuite peut faire la différence entre la vie et la mort.
Alors, pourquoi la personne en crise ne répond-t-elle pas immédiatement aux commandes et ne dépose-t-elle pas son arme comme on le lui ordonne? Selon le policier à la retraite Terry Coleman, qui s’est penché exhaustivement sur le problème, si une personne dans cet état entend de grands cris – provenant possiblement de plusieurs policiers – elle est susceptible d’être confuse et d’avoir peur. Et dans ces conditions, elle voudra souvent accrocher à son arme pour se protéger. Tragiquement, l’ironie voudra que cela ait l'effet inverse parce que le policier pourra voir le refus de déposer l'arme comme de la désobéissance.
« Ils sont désorientés, ils sont agités, et ils sont en colère, donc le fait de crier – plutôt que de désamorcer la situation ou même de la contenir – fera en sorte qu’elle va s’envenimer », explique Terry Coleman. « Nous avons vu quelques séquences à la télé; cela m’a fait frissonner. »
En plus d'avoir été agent de police pendant de nombreuses années, Terry Coleman est également co-auteur de deux récents rapports pour la Commission de la santé mentale du Canada, recommandant des changements à la façon dont les policiers interviennent auprès des malades mentaux en situation de crise. Le dernier, intitulé « Tempo: Guide sur les interactions entre les policiers et les personnes aux prises avec un trouble mental », a été publié en 2014. M. Coleman siège également sur des comités consultatifs pour la CSMC et l'Association canadienne des chefs de police.
Terry Coleman dit qu’au cours des dix ou douze dernières années, la préparation des agents de police en vue de ce type de situations s’est nettement améliorée au sein des services de police à travers le Canada.
« J’ai été longtemps dans les forces de l’ordre, et quand j’ai commencé, nous n’avions aucun enseignement à ce sujet; nous devions improviser », dit-il. « Nous n’essayons pas de changer nos agents en psychologues ou en diagnosticiens, mais voulons qu’ils comprennent le comportement de sorte qu'ils sachent comment communiquer au mieux avec cette personne. »
Au cours des dernières années, l’avocate torontoise Anita Szigeti a travaillé dans le dossier des décès liés à la police en tant que conseillère juridique pour les différentes organisations de service public intervenues dans les enquêtes du coroner. Elle dit que des améliorations considérables ont été apportées à la façon dont les nouveaux agents de police sont préparés pour cette partie du travail.
« Les nouvelles recrues reçoivent une très bonne formation, directement de personnes ayant vécu l’expérience de situations impliquant des malades mentaux et des toxicomanes. Ce n’est probablement plus un problème », dit-elle. « Toutefois, cette formation ne semble pas donner lieu au désamorçage de ces affrontements sur le terrain. Donc, nous pensons maintenant qu’à la longue, quelque chose se perd après la formation initiale des recrues et qu’elles sont plongées dans la culture divisionnaire de leur service de police local. »
Comme Terry Coleman, elle est d’avis qu'il est contre-productif que la police utilise des commandes à voix haute afin de maîtriser une situation impliquant une personne aux prises avec des problèmes de santé mentale. « Tous ces hurlements et ces menaces avec des armes à feu ne servent qu’à envenimer les choses », dit-elle.
La culture doit évoluer
Des recommandations ont été formulées dans un certain nombre d’enquêtes et d’études suggérant que les policiers doivent être mieux formés sur la façon de désamorcer une situation qui peut être dangereuse et instable. Mais quelle que soit la formation donnée, peu importe le nombre de rapports écrits et de recommandations formulées, cela revient encore aux décisions prises par les agents dans une situation de crise. Alors qu'il est généralement admis que l'application de techniques de désamorçage soit absolument essentielle, Terry Coleman concède que le tempérament et l’attitude des policiers eux-mêmes jouent un rôle central.
« Ils oublient leur formation en situation de stress, et régressent à leurs anciens comportements », explique-t-il. « On dirait que c’est ce qui se passe. Voilà pourquoi il est si important, tout d’abord, d’embaucher les bonnes personnes pour être des agents de police et, deuxièmement, de bien les préparer à ces types d'interactions. »
Terry affirme que les policiers appliquent une norme officieuse selon laquelle lorsqu’une personne armée s’approche à moins de 21 pieds, elle peut combler cet écart et attaquer sans que l’agent n’ait le temps de se protéger. Mais il dit que cette norme est en fait clairement déficiente et que le policier a davantage de temps pour désamorcer la situation que cette règle semble insinuer, particulièrement s’il pointe déjà son arme vers le suspect. « C’est encore une mentalité que de nombreux policiers entretiennent. »
L’avocate Szigeti faisait partie de ceux qui ont soumis des observations concernant l’enquête à Toronto menée par l’ancien juge de la Cour suprême Frank Iacobucci. Le rapport final, intitulé « Police Encounters with People in Crisis (Rencontres entre policiers et personnes en état de crise ), a été publié l'an dernier et contient 84 recommandations sur la façon dont ces formes de violence peuvent être évitées à l'avenir et comment les malades mentaux peuvent obtenir l'aide dont ils ont désespérément besoin. Lors de la publication de son rapport, le juge Iacobucci avait commenté qu’il est bien d’améliorer la formation, mais que si cette formation ne correspond pas à la culture de la police, « vous avez alors un problème. »
Le rapport Iacobucci commandé par Bill Blair, à l’époque chef de la police de Toronto, souligne que la ville répond annuellement à environ 20 000 appels concernant des individus en crise. Voici quelques-unes des initiatives recommandées dans le rapport Iacobucci :
- un projet pilote pour tester l'utilisation des pistolets Taser par les policiers de première ligne
- des caméras portées sur le corps par les agents
- une formation accrue en techniques de désamorçage pour les policiers
- un cours de premiers soins en santé mentale qui serait suivi par tous les policiers
- la création d'un comité de surveillance des services de police et de la santé mentale
- des mesures disciplinaires pour les officiers qui ont trop recours ou qui abuse des armes à impulsions (Taser)
L’émergence de la vidéo
Probablement plus que tout autre, la mort de Sammy Yatim en 2013, à l’âge de 18 ans, a scandalisé le pays lorsque la vidéo le montrant en train de se faire abattre dans un tramway de Toronto a fait surface sur YouTube. Cette vidéo a maintenant été jouée plus de 950 000 fois. Sammy Yatim était seul dans le tramway quand la police lui a ordonné à plusieurs reprises de déposer le couteau qu’il tenait à la main. Puisqu’il refusait d’obéir, l'agent a tiré trois coups, le faisant tomber par terre. Il lui a de nouveau demandé de lâcher son couteau pendant qu’il était sur le sol, puis l’a abattu de six autres balles. Alors que Sammy gisait immobile, un autre agent l’a électrocuté puis lui a passé les menottes.
Le jeune Yatim, qui a été déclaré mort sur la scène, avait des antécédents de maladie mentale. Son décès, bien que de loin le premier du genre, a néanmoins suscité une telle indignation que la question de savoir si les policiers tuent inutilement s’est imposée au sommet de l'agenda national. Le policier qui avait tiré les coups de feu, l’agent James Forcillo, a été accusé de meurtre au second degré et de tentative de meurtre. Ces accusations sont toujours en instance. (L'incident est étrangement similaire à celui survenu il y a 18 ans alors qu’Edmond Yu était abattu dans un autobus de Toronto parce qu'il n'avait pas obéi aux ordres des policiers lui demandant de déposer un petit marteau).
Plusieurs des cas répertoriés au début de cet article sont désormais réels pour le public parce qu'il les voit se réaliser à la télévision ou sur Internet. Et ce, uniquement parce que l'incident est enregistré sur le téléphone cellulaire d’un citoyen ou sur une caméra installée sur le tableau de bord d'une voiture de police.
« Je pense que la vidéo est très efficace, pour le meilleur ou pour le pire », dit M. Coleman. « Bien qu’elle soit utile, elle ne décrit pas toute la réalité. Je ne crois pas que le problème se soit particulièrement empiré, mais il suscite beaucoup d’attention. On y accorde beaucoup plus d’importance. »
Tel que recommandé par le juge Iacobucci, certains services de police au Canada font l’essai de caméras que portent les agents sur leur corps pour enregistrer les rencontres avec le public. Cela a pour effet de décourager l'utilisation excessive de la force, tout en protégeant la police contre les fausses accusations. Le Service de police de Toronto mène actuellement un projet pilote dans lequel 100 agents portent maintenant des caméras.
Me Szigeti dit que la caméra vidéo est essentielle à la réduction de l'usage inutile de la force, bien que les policiers soient encore réticents quant à son utilisation, prétendant que les caméras ne donnent qu’une perspective des faits et que la meilleure preuve reste encore le témoignage des agents présents sur la scène. Elle ajoute que cette pensée est « bizarre » puisque les agents admettent souvent être tellement concentrés sur le suspect qu'ils ne voient ou n’entendent rien d'autre.
« À ce moment, ils vivent une exclusion visuelle et auditive; ils ont une vision tunnel, ils ne peuvent ni voir ni entendre autre chose que la cible sur laquelle ils vont tirer », explique-t-elle. « Il est absolument fascinant de penser que le souvenir du policier dans un moment de tension sera une meilleure preuve que la caméra vidéo sur son casque ou son revers. »
Me Szigeti ajoute que le port de caméras peut s’avérer un outil très utile, mais prévient qu’il est essentiel que le policier ne puisse éteindre la caméra s’il le désire, comme c’est présentement le cas avec le programme de Toronto. Elle souligne, cependant, que des questions de confidentialité doivent être abordées lorsque les caméras de corps sont en cours d'utilisation.
Des progrès sont réalisés
Terry Coleman affirme que certaines villes ont pris des mesures significatives pour améliorer la situation, y compris la formation d’un partenariat entre les policiers et des professionnels de la santé mentale lors de telles interventions. Il souligne notamment les impressionnantes initiatives des villes de Montréal, d’Ottawa et de Hamilton.
Un professionnel qui pense que la police de Montréal a fait d’importants progrès est le psychiatre Simon Amar, qui intervenait auprès des personnes sans-abri quand il travaillait à l'Hôpital général de Montréal. Cela exigeait de lui qu’il collabore avec la police, qu’il considère comme étant la première ligne d’intervention lors d’une situation de crise impliquant une personne atteinte de maladie mentale. Il ajoute qu’il est estimé que le pourcentage de personnes sans-abri qui souffrent de troubles mentaux se situe entre 50 et 75 pour cent.
Au cours des dernières années, Montréal a connu plusieurs incidents impliquant des sans-abri ou des malades mentaux décédés lors d’affrontements avec la police. Un cas qui a suscité des appréhensions considérables dans l’opinion publique est celui de Mario Hamel, âgé de 40 ans, qui renversait des poubelles en brandissant un couteau, refusant de laisser tomber ce dernier quand les policiers sont arrivés sur la scène. Plutôt que de désamorcer la situation, les agents ont tiré sur lui. Une balle perdue a touché un passant qui se rendait au travail, le tuant également.
« Il y a un vaste sentiment d'indignation chez le public à ce sujet et à juste titre; dans un même temps, il est très difficile pour des gens qui n’ont pas vécu la situation de réellement comprendre la complexité des situations dans lesquelles les policiers se retrouvent tous les jours », dit Dr. Amar.
« Les agents sont formés pour maîtriser les situations, mais ce sont des situations où les gens réagissent encore avec une certaine logique à la rationalité », a-t-il fait remarquer. « Mais dès que vous introduisez des cas de psychose ou d’intoxication où les individus ne sont désormais plus dans la réalité, la donne est complètement changée. »
Aujourd’hui membre d’un comité consultatif de la police qui compte divers organismes communautaires, Simon Amar se dit impressionné par les mesures prises par la police de Montréal pour accroître sa capacité à faire face aux crises de santé mentale. Il ajoute qu’en plus des équipes qui allient un policier et un travailleur social, au moins un agent (et parfois plusieurs) dans chaque poste de police de quartier a reçu une formation spéciale dans la façon d’intervenir auprès d’un malade mental en crise. Il dit que le policier doit en faire la demande pour s’inscrire au programme; ainsi, il est certain qu'il ou elle a un intérêt pour la question.
Simon Amar souligne qu'il a eu l'occasion d’accompagner un agent en auto-patrouille pendant une nuit afin de constater de visu certains des défis auxquels sont confrontés les policiers quand ils sont appelés sur les lieux d’un incident, ne sachant jamais ce qui les attend.
« Cette expérience a été l’une des plus incroyables de ma carrière », déclare-t-il. « J’ai beaucoup appris ce jour-là; c’était en fait une expérience pleine d’humilité. »
Il poursuit en expliquant que l’un des appels auxquels il a répondu avec le policier impliquait un homme qui avait rompu avec la réalité et ne pouvait dire s’il était éveillé ou s’il rêvait. L'homme voulait atteindre le toit de son immeuble en passant par l'appartement d'un voisin, donnant ainsi lieu à un conflit avec ce voisin.
Le psychiatre dit qu'il était en mesure de parler à l'individu et de l'aider à comprendre que ce qu’il voyait n’était pas réel. La situation, grâce à la présence du Dr. Amar, a pu être désamorcée sans aucun préjudice.
Hamilton emploie la « preuve de concept »
Un autre service de police qui a pris des mesures significatives pour faire face aux affrontements potentiellement violents entre les agents et les personnes en situation de crise est le service de police de Hamilton en Ontario. En novembre 2013, l’inspecteur Glenn Bullock a dirigé un projet pilote, ou le projet « Preuve de concept » comme ils l’appellent, qui met dans la rue des équipes composées d’un agent de police et d’un professionnel en santé mentale qui travaillent ensemble. Depuis le mois de mars de cette année, le programme Équipe itinérante de gestion de crise d’urgence fait partie des services de police réguliers. Deux équipes sont en service : l'une de 10 h 00 à 22 h 00 et l’autre de 13 h 00 à 01 h 00.
« Dès le début du programme, quand un policier et un clinicien en santé mentale étaient dépêchés sur les lieux, le clinicien a été en mesure d’accomplir un bien meilleur travail de triage grâce à sa connaissance très spécialisée de la santé mentale. »
Il y a dix-sept ans, la police de Hamilton avait créé le programme « Crisis Outreach Support Team » (COAST) (Équipe de soutien en intervention de crise) qui allie un policier en civil à un professionnel de la santé mentale pour le suivi des appels impliquant des malades mentaux. Ceci, dit Glenn Bullock, a vraiment ouvert la voie au projet « Preuve de concept ». Il dit qu'auparavant, les policiers se préoccupaient surtout de savoir si un individu se comportait de manière criminelle, mais que cette nouvelle approche fait une réelle différence.
« C’est la seule préoccupation que nous ayons jamais eu, l’infraction criminelle », dit-il. « Ainsi, ils n’obtenaient jamais l’aide dont ils avaient besoin, et il n’était jamais déterminé si la maladie mentale était le moteur derrière l'infraction. »
En 2007, la mort de l’immigrant polonais Robert Dziekanski à l'aéroport international de Vancouver a eu une incidence importante sur la façon dont les policiers en Colombie-Britannique sont maintenant formés pour faire face aux personnes en détresse mentale. M. Dziekanski arrivait en provenance de la Pologne et devait être accueilli par sa mère, qui vivait déjà au Canada. Mais il a été retenu dans une partie du terminal où sa mère ne pouvait le trouver. Robert Dziekanski errait depuis des heures dans le terminal, sans nourriture et incapable de communiquer puisqu’il ne connaissait pas l’anglais. Comme sa détresse s’accentuait, il est devenu agressif et, à un certain moment, s’est saisi d’une petite table et a renversé un ordinateur. Comme on le voit sur la vidéo amateur, quatre gendarmes de la GRC répondent à l'appel et lui donnent des ordres, mais il ne les comprend pas. Comme il ne se calme pas immédiatement, ils lui administrent une décharge d’un pistolet Taser à plusieurs reprises. Robert Dziekanski fait un arrêt cardiaque et meurt sur les lieux.
Le résultat de la mort de R. Dziekanski, qui a aussi été enregistrée sur vidéo par quelqu'un à l'aéroport, a été la création de la Commission Braidwood. Une chose est ressortie de l’incident : la mise en place d’une formation obligatoire pour tous les agents de la province - y compris la GRC, qui doit être suivie à l'Académie de la police du British Columbia Justice Institute.
Le directeur de l’Académie Steve Schnitzer, avec plus de 30 ans dans les forces de l’ordre à son actif, explique que la formation à l’intervention et au désamorçage en situation de crise est un cours de 50 heures sur Internet qui s’accompagne d’une seule journée en classe avec exercices de simulations et jeux de rôles. Tous les agents doivent renouveler leur certificat en suivant à nouveau le cours tous les trois ans. La formation, dit le directeur Schnitzer, permet d’acquérir des compétences pratiques et de promouvoir des « interactions bienveillantes et respectueuses et non violentes avec les gens. »
Il ajoute : « La beauté de cette formation est qu'elle aide les agents à adopter un style de communication pour chaque situation; il n'est pas nécessaire que ce soit une crise. Tout ce que nous faisons doit être basé sur le respect, la compréhension et l'empathie. »
Miser sur ceux qui l’ont vécu
Ceux qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie sont directement représentés à Toronto par le Conseil d'autonomie, une organisation dont le conseil d’administration est composé entièrement de personnes qui sont atteintes de troubles mentaux ou de toxicomanie. Ils sont donc à même de mieux comprendre ce que vivent les malades mentaux lorsqu’ils rencontrent des responsables de l’application des lois.
La directrice Jennifer Chambers dit que suite à l'enquête sur la mort d'Otto Vass à Toronto (le Conseil a été la première organisation représentant les malades mentaux à avoir qualité pour agir à l'enquête), le Conseil a participé à la négociation pour la création de deux comités consultatifs portant sur la police et les malades mentaux. L'un est un sous-comité permanent à la Commission des services policiers de Toronto (qui traite principalement de la politique) et l'autre est un comité consultatif pour le chef de police, qui traite des questions opérationnelles.
« Certaines personnes ne sont pas d'accord lorsque nous avons des éloges à faire, mais je pense qu'il est très important de représenter une perspective équilibrée », dit-elle.
Jennifer Chambers affirme qu’une chose sur laquelle certains policiers se méprennent est que les personnes souffrant de troubles mentaux peuvent avoir une crise, mais ensuite ne plus jamais avoir de contact avec le système de soins de santé.
« Ils voient des gens dans leur pire état et ne savent pas que ces mêmes personnes peuvent se révéler tout à fait normale. »
Peter Rosenthal est un avocat de Toronto qui a représenté les familles de plusieurs victimes qui ont perdu leur vie dans des affrontements avec la police, dont Michael Eligon. En février 2012, le patient de 29 ans était sorti d'un hôpital de Toronto au beau milieu de l’hiver, en jaquette d’hôpital et en chaussettes. Après plusieurs rencontres avec des gens (il a demandé leurs clés de voiture à deux personnes), il a été confronté par la police tandis qu'il marchait lentement dans une rue résidentielle, une paire de ciseaux dans chaque main. Plusieurs agents lui ont crié de s’arrêter et de laisser tomber les ciseaux, mais il poursuivait lentement sa route en direction de la lignée de policiers; l’un d’eux a alors ouvert le feu, le tuant sur le coup.
Me Rosenthal affirme qu'aucun effort n'a été fait pour parler à Michael et pour désamorcer la situation. Au contraire, les agents dont la vie n’était pas en danger immédiat ont cru que la force meurtrière était leur seule option. Il souligne que, bien qu’une personne tenant un couteau, un marteau ou une autre arme représente un danger, les agents ont un net avantage puisqu’ils ont des armes à feu. Ils ne doivent donc pas réagir aussi rapidement que le ferait une personne non armée.
Peter Rosenthal a représenté les familles de deux autres hommes atteints de troubles mentaux tués lors d’affrontements avec la police, notamment Otto Vass et O'Brien Christopher-Reid, à des enquêtes du coroner. Dans les deux cas, les recommandations étaient d’équiper les agents de première ligne de Toronto de pistolets Taser comme alternative aux armes à feu si la force s’avérait nécessaire. Cette même mesure a été recommandée suite à plusieurs enquêtes du coroner à travers le pays (Ce fut aussi une recommandation dans le rapport Iacobucci).
Dans sa soumission au juge Iacobucci, Me Rosenthal a précisé que les pistolets Taser ne sont pas une solution au problème, n’étant pas une alternative sûre et efficace à la force meurtrière comme bien des gens le supposent. Il dit que le fait d’équiper plus d’agents avec des pistolets Taser entraînera d’importants problèmes parce que s’il y a davantage de ces pistolets, ils seront donc utilisés plus souvent et pas seulement dans des situations de vie ou de mort. Bien qu’ils soient moins meurtriers que les armes à feu, ils peuvent quand même causer de la douleur et même la mort.
Selon lui, le cas Robert Dziekanski a déclenché de réels changements dans l’idée que se fait le public des rencontres entre la police et les personnes en crise. L’incident a également inclut dans la discussion le contexte dans lequel le pistolet Taser devrait être utilisé. « Il a marqué un tournant dans l’opinion publique sur les pistolets Taser », dit-il. « Ce n’est pas une arme anodine. »
Peter Rosenthal dit qu’il est essentiel que les policiers suivent une formation sur les techniques de désamorçage – et qu’ils soient tenus d’utiliser ces techniques – de sorte que des situations telles que celles décrites ci-dessus puissent être résolues sans avoir recours à la force meurtrière, aux pistolets Taser ou à d'autres armes potentiellement mortelles. Il dit que des procédures strictes reposant sur le désamorçage doivent devenir la norme et que les agents qui ne suivent pas ces règles d'engagement doivent être disciplinés en conséquence. En Ontario, l'Unité des enquêtes spéciales (UES) peut porter des accusations criminelles contre un policier, mais ne peut imposer de sanctions disciplinaires.
À chaque enquête du coroner concernant un décès impliquant des policiers, les familles des défunts cherchent à démontrer les façons dont le système a laissé tomber quelqu’un qui vivait des problèmes de santé mentale. Alors que ces gens et les avocats qui les représentent reconnaissent que dans ces situations les policiers peuvent être sous une vive tension et que la possibilité qu’un agent ou un membre du public soit blessé est réelle, ils souhaitent également contribuer quelque chose de sorte que de telles tragédies puissent à l'avenir être évitées.
« Les familles veulent une issue positive à ce qu’elles ont vécu », affirme Me Rosenthal.
Sammy Yatim
Sammy Yatim, 18, est abattu par neuf balles dans un tramway de Toronto en juillet 2013. Selon des témoins, Yatim possédait un petit couteau qu’il avait dégainé.
Au moment où il est confronté par la police, Yatim est seul dans le tramway. Quand il ne réagit pas à l’ordre de laisser tomber le couteau, l’agent James Forcillo lui tire trois balles coup sur coup. Au second ordre, puisqu’il ne réagit toujours pas, James Forcillo tire vers lui six autres fois. Sammy Yatim est déjà neutralisé quand un deuxième policier s’approche de lui et utilise sur lui son pistolet Taser avant de le menotter. James Forcillo a été accusé de meurtre au deuxième degré et de tentative de meurtre.
Paul Boyd
Paul Boyd, 39 ans, un illustrateur atteint du trouble bipolaire, est tué en août 2007, à Vancouver. Selon les rapports, on lui reprochait d’avoir balancé une chaîne de bicyclette avec un cadenas à une extrémité. Il rend la chaîne après avoir été frappé de plusieurs balles. Une vidéo tournée sur un téléphone cellulaire montre Paul Boyd rampant à quatre pattes à travers la route. Alors qu’il disparait derrière une voiture, on voit un officier qui lui crie d’arrêter. Puisqu’il n’écoute pas, le policier tire vers lui trois fois de plus, pour un total de huit coup de feu, dont le dernier, fatal, l’atteint à la tête.
Robert Dziekanski
En octobre 2007, quatre agents de la GRC sont dépêchés à l’aéroport de Vancouver pour s’occuper d’un immigrant polonais visiblement agité, arrivé plusieurs heures auparavant et ayant renversé quelques meubles. Robert Dziekanski, 40 ans, ne parle pas l’anglais, et erre dans le terminal depuis plusieurs heures, incapable de communiquer avec le personnel de l’aéroport ni de retrouver sa mère qui devait venir à sa rencontre. Incapable de le calmer, un agent le frappe à plusieurs reprises avec un pistolet Taser; Robert Dziekanski meurt d’une crise cardiaque.
Michael Eligon
En février 2012, Michael Eligon, âgé de 29 ans, errait dans les rues en jaquette et chaussettes après s’être enfui d’un hôpital de Toronto. Il quitte un dépanneur avec deux paires de ciseaux après une brève lutte avec le commerçant. Michael Eligon est confronté dans la rue par des policiers et n’obéit pas lorsque ceux-ci lui crient de s’arrêter. Quand un des agents tire sur lui, en disant qu’il craignait pour sa vie, Michael tient une paire de ciseaux dans chaque main. La fusillade est capturée sur une caméra à bord d’une autopatrouille et par un voisin sur son téléphone cellulaire.
Reyal Jardine-Douglas
Reyal Jardine-Douglas, 25 ans, est abattu en août 2010 après avoir sauté d’un autobus de la ville armé d’un couteau. La police arrête l’autobus suite à l’appel de la sœur de l’homme disant qu’il est agité et délirant, et essaient de le faire descendre. Il sort donc un couteau et poursuit agressivement le policier, qui lui crie de lâcher son couteau. L’agent tire trois coups en succession rapide, le faisant tomber au sol. Comme Reyal Jardine-Doublas tente de se relever, le policier tire un quatrième coup de feu, le tuant sur le coup.
Alain Magloire
Alain Magloire, un handicapé mental et sans-abri de 41ans, est atteint de quatre balles et tué par un policier de Montréal en Février 2014 après avoir fracassé une fenêtre à l’accueil d’un centre pour itinérants où il logeait. Trois véhicules de police arrivent au terminal d’autobus de Montréal, le deuxième frappant Alain Magloire dans ce qui, selon le policier, était un effort pour sauver sa vie. En s’écroulant sur le trottoir, Alain Magloire semble balancer un marteau; un autre policier fait feu à quatre reprise et l’abat.
Tony Du (Phuong Na Du)
Tony Du, âgé de 51 ans, était schizophrène. Il a été abattu par la police de Vancouver en novembre 2014. Apparemment, selon un témoin, Tony frappait un deux-par-quatre contre une clôture et semblait se parler à lui-même. Les policiers ont été appelés et ont tenté de convaincre l’homme de mettre le morceau de bois par terre. Quand il a refusé d’obéir, ils ont tiré deux fois sur lui.
Edmond Yu
Dans une affaire étrangement similaire à la fusillade de Sammy Yatim, le schizophrène paranoïaque de 35 ans était seul à bord d’un autobus et tenait à la main un marteau lorsque la police est arrivée. Quand il a refusé de déposer le marteau, il a été abattu.
Otto Vass
En Août 2000, Otto Vass, âgé de 55 ans avec des antécédents de troubles de santé mentale, décède après avoir été supposément battu par quatre policiers de Toronto à l’extérieur d’un dépanneur. Selon deux témoins, les policiers l’auraient frappé avec des matraques, en plus de lui avoir asséné des coups de poing et de pied à plusieurs reprises. Il est mort de blessures à la tête. Les quatre policiers ont été acquittés d’homicide involontaire en 2003. Le cas d’Otto Vass a été dépeint sur scène dans la pièce Out the Window, de Liza Balkan, qui avait été témoin de l’incident.
Steve Mesic
Le 7 juin 2013, Steve Mesic, 45 ans, venait de quitter une unité psychiatrique protégée à l’hôpital St-Joseph et aurait apparemment tenté de se suicider en sautant à deux reprises au beau milieu de la circulation au cours de sa marche de 7 kilomètres vers sa résidence. La police l’a confronté devant sa maison en rangée, affirmant qu’il refusait de déposer une pelle qu’il tenait comme un bâton de base-ball. Les deux officiers ont tiré sur lui un total de six fois.
Mario Hamel
Mario Hamel, un itinérant de 40 ans, frappait sur des poubelles au centre-ville de Montréal en brandissant un couteau. Lorsque les policiers sont arrivés, ils lui ont ordonné de laisser tomber le couteau, ce qu’il a refusé de faire. L’homme a été aspergé de poivre de Cayenne, puis abattu. Aucune accusation n’a été portée contre les policiers. Un passant, Patrick Limoges, 36 ans, a été frappé par une balle perdue. Il est décédé plus tard à l’hôpital.
O’Brien Christopher-Reid
Christopher-Reid, 26 ans, qui était traité pour une trouble délirant paranoïde, a été abattu de quatre balles sur un pont par des policiers qui venaient de recevoir un appel concernant un homme armé d’un couteau. Un témoin pouvait entendre les cris des policiers demandant à l’homme de laisser tomber son couteau et, quand il a refusé d’obéir, les trois policiers ont tous tiré, un total de huit coups, dont quatre ont frappé Christopher-Reid. Une enquête menée par l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario a exonéré les policiers de tout blâme.
Byron Debassige
Dans une affaire qui a beaucoup en commun avec celle de Christopher-Reid, un schizophrène de 28 ans a été abattu en juin 2004 dans un parc de Toronto après avoir volé des citrons dans un magasin du voisinage. Quand le commerçant l’a confronté, Byron Debassige aurait apparemment sorti un couteau. Les policiers l’ont rattrapé dans un parc à proximité et ont exigé qu’il laisse tomber le couteau. Il y a eu lutte et quatre coups de feu ont été tirés, dont deux l’ont atteint au torse, le tuant sur le coup.