L’ENNEMI, CE NE SONT PAS LES POLICIERS
Eux aussi sont conscients que le système est déficient
PAR THOMAS C. KNOWLES
Commençons tout d’abord par une mise au point : un policier n’a nulle envie de brandir son arme. Il ne se lève pas le matin dans l’espoir de faire feu sur quelqu’un. S’il doit utiliser son arme de service dans le cadre de ses fonctions, c’est que la situation a terriblement mal tourné.
Nous savons toutefois que, pour un policier, un bref moment d’hésitation ou une seconde de distraction peut être tragique – pour lui ou pour les autres citoyens que nous avons juré de protéger. Dès notre arrivée à l’Académie de police, on nous enseigne qu’en tant que policiers nous devons toujours faire preuve d’une grande vigilance, et être attentifs à ce qui nous entoure en tout temps. Puis, une fois sorti de l’Académie, le temps que nous passons
dans la rue nous apprend trop souvent à nous méfier d’un trop grand nombre d’individus. La terrible tragédie survenue à Brooklyn en décembre dernier, alors qu’un agent du NYPD a tiré et tragiquement tué un civil non armé,
devrait tous nous rappeler que, pour un policier, même les moments apparemment anodins peuvent prendre un tournant fatal en un clin d’œil.
Dans la foulée des récentes manifestations dans plusieurs villes à travers les États-Unis suite aux décès impliquant la police et à l’assassinat de deux agents du NYPD, je crains que nous ayons perdu de vue à quel point les défis sont complexes pour les policiers d’un pays aussi diversifié.
Au cœur de l’agitation de l’automne dernier — lors des rivalités entre policiers et manifestants dans les rues de Ferguson et sur le pont de
Brooklyn, et les duels virtuels entre les hashtags sur Twitter tels que #BlackLivesMatter et #BlueLivesMatter — nous avons oublié une règle essentielle : l’ennemi, ce ne sont pas les policiers.

Je sais qu’ils ne sont pas parfaits. Au cours des 39 dernières années,
j’ai occupé le poste d’enquêteur militaire et d’agent de police, puis pendant 23 ans celui d’agent du FBI et de superviseur. J’ai travaillé étroitement avec les responsables de l’application des lois dans plus de 50 pays à travers le monde et je sais que l’écrasante majorité d’entre eux sont prêts à donner leur vie pour protéger une personne qu’ils ne connaissent même pas. J’ai aussi enquêté quelques mauvais policiers – et en travaillant avec les bons, nous avons fait de notre mieux pour débarrasser notre système de leur corruption et les emprisonner. Oui, les mauvais flics existent — et ils doivent être tenus responsables. Ils méritent que tout le poids de notre système de justice pénale s’abatte sur eux.
Mais je ne crois pas que ce soit réellement l’objet des manifestations de cet automne. Il n’est pas ici question de mauvais policiers. Nous nous
débattons avec de mauvaises politiques et des systèmes déficients. Et
trop d’individus tentent d’inculper le système lui-même en prétendant que l’ennemi, ce sont les policiers.
Dans la quasi-totalité des cas, à partir du moment où un flic sort son arme et fait feu, le système a échoué. Mais plus souvent qu’autrement, le fait qu’il utilise son arme n’est pas la question. C’est un symptôme de défis plus larges et de problèmes beaucoup plus important. L’utilisation d’une arme à feu, généralement, est le résultat final d’une défaillance — et souvent de plusieurs échecs en cascade — ailleurs dans notre société qui donne lieu à cette rencontre fatale.
Je ne vais pas commenter spécifiquement les trois incidents qui ont lancé le débat en 2014; j’ai mes opinions personnelles et professionnelles à
l’égard de chacune d’entre elles et je serai le premier à convenir que des erreurs ont été commises par tous.
Relever les défis soulevés par ces situations ne tient pas uniquement à
donner aux policiers une formation différente, à peaufiner quelques politiques, ou à fournir des caméras miniatures ou des pistolets Taser à quelques agents. Bien sûr, chacune de ces réformes peut être nécessaire — et, dans bien des cas, serait bien accueillie par la plupart des policiers que je connais.
Mais les défis ne se limitent pas là. Et ce ne sont pas que de simples problèmes à régler.

Il y a plusieurs composantes à ce problème : l’éducation, la santé mentale, la justice pénale. Il y a de grands et vastes enjeux de politiques publiques et de société à aborder. Il y a même une composante familiale — un rôle que doivent jouer les mères et les pères puisque tout commence à la maison. Bien que je comprenne que des individus sont mauvais à la naissance, ce n’est pas le cas de tous les jeunes qui traînent dans la rue jusqu’aux petites heures de la nuit.
Les solutions que nous cherchons en tant que société se trouvent souvent dans de meilleurs programmes scolaires, une meilleure formation professionnelle, des politiques sociales plus intelligentes, une meilleure surveillance parentale et des programmes de santé mentale plus complets (et mieux financés).
Souvent, au moment où les flics entrent en contact avec certaines personnes souffrant de troubles mentaux, tout le « système » (parents, famille, amis et gouvernement) les avait déjà laissés tomber, quand ils étaient enfants et, plus tard, en tant qu’adultes.
Les policiers ne font pas nos lois, et ils sont censés les faire respecter qu’ils d’accord avec ou pas.
Les policiers en Amérique du Nord répondent à des centaines et des milliers d’appels à tous les jours. Environ 350 personnes sont peut-être tuées chaque année par des policiers aux États-Unis. Chacun de ces décès est, à sa manière, une tragédie. Mais, là encore, il y a un autre côté à la médaille. En 2013, près de 50 000 policiers américains ont été agressés au travail. Déjà cette année, plus de 120 policiers ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions en Amérique. Le métier de policier est dangereux — et presque tous ceux qui portent l’insigne sont des Américains dévoués, patriotiques et travaillants qui ne souhaitent rien de plus que de protéger leurs concitoyens et, à la fin de leur journée, de rentrer chez eux retrouver leur famille.
Ils ne sont pas votre ennemi.
Si des changements doivent être apportés à notre société et à notre
système, faisons-le. Mais en attendant, cessons de blâmer les policiers qui protègent nos rues contre les défaillances de la société et de notre système.
Les policiers ne sont qu’un petit rouage dans une très grande roue.
— Thomas C. Knowles a travaillé dans les forces de l’ordre pendant près de 40 ans, notamment comme policier militaire, agent de police à Fresno en Californie, et comme agent spécial et superviseur pour le FBI. L’article de M. Knowles est reproduit avec l’aimable autorisation de la revue Politico Magazine (www.politico.com), qui a tout d’abord publié cet article le 23 décembre 2014.