RENVOI À L’EXPÉDITEUR

Tact, diplomatie et l’art d’improviser des solutions : les agents des Services frontaliers du Canada mènent à bien leur tâche

Durant ses quatre années en tant qu’agent de l’ASFC, Nicolas Girard s’est rendu dans 15 pays.. PHOTO : Victor Swoboda

PAR VICTOR SWOBODA

Nicolas Girard, un agent de l’Agence des Services frontaliers du Canada, savait qu’il s’apprêtait à vivre une situation difficile quand la personne expulsée qu’il escortait a aperçu l’avion qui devait l’emmener hors du pays.

« Il a paniqué et s’est mis à crier, » se rappelle Nicolas, basé à Montréal et l’un des quelques 400 agents de l’ASFC à travers le Canada qui sont formés tout spécialement pour escorter des gens. « Il est devenu vraiment non coopératif. Le pilote de l’avion a le droit de refuser l’accès à des passagers indisciplinés, j’ai donc dû le persuader de nous laisser monter à bord. »

Calmer l’homme expulsé est toutefois une toute autre affaire. Quand ils escortent une personne non coopérative, les agents comme Nicolas Girard doivent faire preuve de tact, de diplomatie et de leur capacité à improviser des solutions.

« Une grande partie du travail exige de trouver les moyens d’amener la personne expulsée à coopérer, » dit-il. « Je ne cherche pas à devenir l’ami de l’expulsé, mais je dois m’en faire un ami pour m’assurer que tout se passe bien. Nous devons parfois passer une trentaine d’heures avec la personne expulsée pour la ramener chez elle. Ceci demande de faire appel à la psychologie. Personnellement, je permets à la personne de laisser libre cours à ses émotions dès le début. Je lui explique directement les conséquences du voyage et qu’il nous faut collaborer. « J’ai le don d’obtenir des personnes difficiles qu’elles coopèrent. »

Mais passer de longues périodes à l’étroit avec certains types de délinquants peut s’avérer une épreuve même pour un agent avec la contenance de Nicolas Girard.

« Par exemple, si vous avez affaire à un pédophile, il vous faut penser de ses crimes dans l’abstrait afin d’être en mesure de respecter votre code de conduite. Ce n’est pas toujours facile puisque vous pourriez naturellement avoir envie de dire ou de faire autre chose. »

Les expulsés peuvent provenir des recoins les plus sombres de l’activité criminelle. L’an dernier, par exemple, des agents de l’ASFC dans le sud de l’Ontario ont escorté vingt membres de la bande criminelle Domotor-Kolompar hors du pays après que ces derniers aient été reconnus coupables de trafic d’êtres humains dans la région de Hamilton.

L’agent Girard a dû penser rapidement quand la personne expulsée a paniqué à la vue de l’avion.

« Puisqu’il était Rastafarien, je lui ai donc demandé de m’enseigner ses prières. Je les ai récitées encore et encore jusqu’à ce que nous ayons atteint la destination finale. À ce moment-là, je les connaissais par cœur ! En plus d’une de ses chansons. »

Le voyage de 15 heures comprenait deux escales, ce qui signifie que l’agent Girard devait à nouveau utiliser ses compétences diplomatiques pour obtenir l’autorisation deux autres pilotes pour monter à bord.

« Si le pilote refuse, alors on ne monte pas. Il y a eu les fois où j’ai dû demander plus d’une fois. Généralement la personne expulsée et moi nous asseyons aussi loin à l’arrière que possible dans l’avion. Je ne suis pas autorisé à être armé et je porte habituellement des vêtements civils pour ne pas attirer l’attention et me fondre avec les autres passagers. Nous ne menottons pas toujours les expulsés, mais parfois ils refusent de coopérer et se débattent et crient. »

Border Services
L’agent de l’ASFC Nicolas Girard. PHOTO : Victor Swoboda

Les vols transatlantiques en partance de Montréal sont habituellement de nuit, mais pour un agent de l’ASFC en fonction, le repos n’est pas permis.

« Nous effectuons notre quart de travail régulier avant d’embarquer pour le vol de nuit. Nous ne pouvons dormir comme les autres passagers—nous sommes au travail ! S’il y a une escale, il nous faudra peut-être attendre plusieurs heures, puis prendre un autre vol qui pourrait durer jusqu’à huit heures. Quand nous arrivons enfin, nous n’avons parfois pas dormi depuis 36 heures. »

En débarquant, Nicolas Girard rend le Rastafarien aux autorités locales.

« Généralement, ils nous attendent et c’est réglé en cinq minutes. Mais il y a par contre des cas où il faut attendre et attendre encore. « Et dans les rares cas où la personne est interdite d’entrée, nous devons immédiatement revenir au Canada. »

Pour s’assurer que le transfert se passe bien, les agents de l’ASFC doivent rassembler tous les documents nécessaires à l’expulsion. L’ASFC est limitée dans ses options de compagnies aériennes et de points de transit à l’étranger. Si une personne non admissible arrive par avion, la même compagnie aérienne doit la ramener. Mais parfois l’ASFC se charge du billet de la personne expulsée. Si le passeport de la personne expulsée est expiré, certains pays vont lui interdire la réentrée. Ces cas exigent un agent accompagnateur de l’ASFC.

« Il n’est pas facile d’expulser quelqu’un. Les exportés ont besoin de documents de transit et souvent, de documents de voyage valides. Et il vous faut l’autorisation de la compagnie aérienne. Vous passez donc énormément de temps au téléphone ou à utiliser le télécopieur. Les agents doivent aussi savoir comment parler aux diplomates, puisque nous communiquons avec les ambassades et les consulats. D’ailleurs, les autres pays n’ont pas toujours les mêmes règles et procédures que le Canada, il faut alors être prêt à négocier, ce qui signifie faire preuve de jugement et de respect et improviser des solutions. »

Durant ses quatre années en tant qu’agent de l’ASFC, Nicolas Girard s’est rendu dans 15 pays.

« Habituellement, je reste dans le pays entre 24 et 48 heures après la passation. Ce ne sont pas des voyages d’agrément, mais j’ai l’impression qu’ils m’ont changé. Je vois les autres cultures et j’en suis venu à apprécier ce que nous avons ici. »

L’agent Girard escorte des expulsés hors du pays de huit à dix fois par année. Autrement, il accompli sa semaine de travail 37,5 heures dans un édifice fédéral au centre-ville de Montréal. Mais lui et ses collègues doivent être prêts en tout temps pour des mandats de dernière minute, qui se traduisent souvent en de longues heures supplémentaires.

« Nous n’avons pas de quarts de travail comme les agents de police municipaux, mais il y a souvent des heures supplémentaires, ce qui signifie moins de temps auprès de notre famille. Ma famille trouve ça difficile, mais ils s’adaptent à mon emploi du temps. »

En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés du Canada, le bureau de Montréal escorte une centaine de personnes à l’étranger à chaque année, une petite fraction du total des quelques 4 000 renvois que le bureau traite chaque année. Heureusement, la grande majorité de ceux qui sont signalés pour expulsion se rendent volontairement.

Le bureau de Montréal couvre un territoire qui s’étend de la frontière de l’Ontario jusqu’à Drummondville dans l’est, à Mont Tremblant au nord, et à la frontière américaine au sud. Le reste du Québec est couvert par les bureaux de l’ASFC à Gatineau, Sherbrooke et Québec. Bien sûr, les bureaux au Québec coopèrent entre eux ainsi qu’avec les bureaux de l’ASFC dans le reste du Canada.

« Les renvois se répartissent en trois catégories principales, » note l’agent Girard. « Soit ils ont fait de fausses revendications du statut de réfugié, soit ce sont des immigrés reconnus coupables de crimes, soit ils perdent leur permis de séjour. Une autre catégorie est les touristes étrangers qui restent au pays plus longtemps que les six mois autorisés. »

Si la personne à être expulsée a des personnes à charge au Canada, ils pourraient également faire partie de l’ordonnance de renvoi à moins qu’ils soient citoyens canadiens ou des résidents permanents âgés d’au moins 19 ans. Une fois une ordonnance d’expulsion émise, la personne a 30 jours pour s’y conformer.

Pour les criminels fugitifs endurcis – par exemple des membres du crime organisé reconnus coupables ou des personnes qui présentent une menace pour la sécurité nationale ou ceux qui ont commis des crimes violents–l’Agence publie leurs visages sur son site web à www.cbsa-asfc.gc.ca,  et fait appel au public pour l’aider à les trouver. Les citoyens peuvent communiquer des renseignements en composant ce numéro : 1-888-502-9060.

« Nous recevons beaucoup d’appels dénonçant des fugitifs ou des personnes qui devraient être renvoyées. Nous aimerions en recevoir davantage. Je pense que le public comprend. »

Grâce aux renseignements de citoyens, 56 fugitifs ont été appréhendés au Canada et 43 d’entre eux ont été expulsés à l’étranger. Quatorze autres ont été capturés à l’extérieur du Canada.

La procédure d’expulsion contre un individu peut être initiée soit avec un agent de l’ASFC ou avec un agent travaillant pour la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui fonctionne indépendamment de l’ASFC. L’un des organismes doit déterminer quelles mesures d’expulsion seront prises : une ordonnance d’interdiction de séjour (la personne doit quitter le pays dans les 30 jours); une mesure d’exclusion (la personne ne peut revenir au Canada pendant un an sans autorisation officielle); ou une ordonnance d’expulsion (l’entrée au Canada lui est à jamais interdite).

Toute personne qui fait face à un renvoi a le droit d’appel. Les appels sont soumis à la Section  d’appel de l’immigration de la CISR. Ses décisions peuvent être revues par la Cour fédérale, Section de première instance. Les processus d’appel peuvent prendre des mois avant d’être entendus et leur résultat déterminé. Les retards sont prolongés si, par exemple, la personne est déjà impliquée dans d’autres procédures judiciaires, ou a besoin d’un passeport ou d’un visa pour le pays de retour. Une mesure de renvoi peut aussi être temporairement suspendue lorsque des conditions dangereuses dans le pays de retour constituent un risque pour la sécurité de la personne. Bien sûr, si la personne ne peut pas être trouvée ou se cache, la date d’expulsion doit être retardée.

Au fur et à mesure que les appels expirent et que l’expulsion devient inévitable, l’ASFC est davantage impliquée  dans le processus.

Les agents de l’ASFC passent beaucoup de temps à rechercher des personnes qui doivent être renvoyées. Une fois que l’endroit où se trouve l’individu est déterminé, une équipe de l’ASFC est envoyée pour l’appréhender.

« Il y a toujours une menace potentielle de danger, tant pendant le processus d’appréhension que pendant le processus d’escorte. Vous ne pouvez le prendre à la légère, » dit Nicolas Girard. « Ainsi, une bonne formation, un bon esprit d’équipe et une bonne communication sont essentiels. Lorsque vous entrez dans un lieu de force, vous ne savez jamais ce qui vous attend de l’autre côté de la porte. Mais nous sommes bien préparés. Nous savons comment prendre rapidement le contrôle d’une situation. »

Comme tous les agents des renvois de l’ASFC, Nicolas Girard a d’abord travaillé comme agent des Services frontaliers (ASF). Il a servi pendant quatre ans à l’aéroport international Montréal-Trudeau avant d’être transféré à la Section des renvois de l’ASFC, une des trois sections d’application des  lois de l’ASFC. Les deux autres sont les sections des Enquêtes et des Crimes de guerre.

« Pour être accepté dans le cours de formation d’agent de douanes de 22 semaines dans un collège de Rigaud (à 45 minutes à l’ouest de Montréal), j’ai dû passer des tests psychologiques et physiques rigoureux, » explique-t-il. « Puis, pour devenir agent des renvois, j’ai dû suivre un entraînement supplémentaire – des cours de filature des suspects, d’entrée par la force, de conduite, d’examen de documents, et sur la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. »

L’agent Girard n’a pas débuté sa carrière dans les forces de l’ordre. En fait, il se compare un peu à Forrest Gump, le personnage du film qui a vécu plusieurs changements de carrière.

« J’ai d’abord travaillé comme inspecteur municipal. Je suis retourné tard au Cégep (au Québec, le programme collégial de deux ans après le secondaire), à l’âge de 30 ans, pour y suivre un cours en techniques policières. Un oncle qui travaillait pour l’Agence des douanes du Canada m’avait parlé des opérations de douanes. »

Aujourd’hui âgé de 42 ans, Nicolas Girard est un agent qui, de toute évidence, adore son travail.

« Certains policiers municipaux m’ont avoué envier mon travail. Je ne regrette en rien la profession que j’ai choisie. »

— Victor Swoboda est un auteur montréalais.

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